SIPANGO, le pitch

Lima, Pérou. Marcus Andrade, agent de la DGSE, collecte des documents, fichiers, renseignements et autres "produits" pour le compte du gouvernement français depuis quelques années.

Solitaire et méticuleux, il porte son cynisme en bandoulière et profite d'une vie -relativement- paisible...

...jusqu'à ce qu'un étrange commando en fasse un fugitif aux abois.

SIPANGO, un roman participatif, un e-novel de 24 épisodes, dont les 7 premiers sont le fruit du travail solitaire de l'auteur, et les 17 suivants le produit du dialogue et de la participation entre lecteurs et auteur.

Bonne lecture et belle participation !

JT

Mettez les mots en musique !

A chaque épisode sa musique :

il suffit d'opérer un "click-droit" avec la souris directement sur la photo en début d'épisode, puis d'ouvrir dans une autre fenêtre le lecteur DEEZER, qui chargera la musique de l'épisode...

bonne lecture et bonne écoute !

jeudi 16 octobre 2008

Episode 8 : participez !


Postez vos commentaires au bas de ce message et proposez de nouveaux développements pour l'aventure...
*
L'épisode 8 tombe Jeudi prochain !
*
Au plaisir de vous lire !

lundi 13 octobre 2008

Episode 7 : Occultus et Expecto


Tingningningning Tingningningning.
-Morin c'est votre portable ?
Marcus se redresse sur son siège.
-...
Tingningningning Tingningningning.
-Vous avez un GSM allumé dans votre poche !?
Morin sort de son pantalon un Nokia vibrant.
Tingningningning Tingningningning.
-Bordel de con, mais vous êtes cinglé ! Ils nous pistent avec ça ! Donnez !
Tingningningning Tingningningning. « Autant décrocher, c'est du pareil au même ».
-Allo ?
-OLE ? Qui est-ce ?
-M.A. Le collecteur. Et vous ?
-Aspic ! répond la voix. Où est l'OLE ?
-Aspic ? interroge Marcus, guettant la réaction de son chauffeur.
Morin hoche positivement de la tête.
-Il est là.
-Vous êtes POURPRES !!! hurle la voix. L'AF est porte close, je répète, l'AF est porte CLOSE. Eau dans le. Eau dans le, jusqu'à 132 heures !
Raccroché. Marcus éclate de rire.
-Qu'est-ce qu'il dit ? beugle Morin.
-Arrêtez la voiture.
-Mais qu'est-ce qu'il dit, putain !
-ARRETEZ cette bagnole et fermez-là !
Morin se range sur la voie de droite et freine. Marcus ouvre la portière.
-Il contient des données ? demande-t-il, plaçant le portable sous le nez de Morin.
-Non, c'est un répondeur.
-Super.
Marcus balance le Nokia dans l'herbe et claque la portière.
-Avanti !
La Volvo reprend la route.
*
-Alors, vous allez me dire c'qu'y a !
-J'ai eu Pierre Dac au téléphone. Cette armée est géniale !
-Pardon ?
-Aspic, c'est qui ?
-Mon boss.
-Ben ton boss nous lâche. On est pourpre.
-Oh meeerde.
-Eh oui, mon petit Morin. Tu viens d'être déclaré « disparu » par ton propre pays. Ils nous interdisent l'accès à l'ambassade. On est des parias.
-Oh meeerde.
-Oui, oui, on a comprit. Par contre y'a un truc que j'ai pas saisi. Il a conclu par : Eau dans le... je sais pas... et ce jusqu'à cent trenteuuu deuxxxx heures ! Môssieur ! Pas une de moins. Vous captez quelque chose ?
-Bien sûr. C'est O dans l'E. Ca veut dire Occultus et Expecto : sa cacher et attendre.
-Du latin... ahh la classe française. Et l'histoire des heures ?
-On doit les contacter dans 132 heures, c'est à dire...
-...ohhh. 5 jours et...
-...12 heures. Donc Dimanche à midi.
-Eh bien on sera l'heure pour le gigot du dimanche ! Quelle bande de chiens !
-Jusque là on peut pas sortir. Ils sont blacklisté nos passeports.
-Tiens, autant se faire arrêter alors ! ascène Marcus.
-Et buter en prison ! Non, non. Le vice-consul ne viendra même pas à la morgue.
-Alors il nous reste notre première option, complètement suicidaire : Marquez. Sur ce, vous n'avez plus de petit gadget à circuit intégré qui nous fasse repérer par le moindre satellite belge en orbite ?
-Non.
-Biiien Morin. Alors direction Barraco. Adelante compagnero !
-Oh meeerde.
-Vous n'avez pas de cigarettes bien sûr ?
-Non.
-Alors arrêtez de jurer, où je vous en colle deux.
6h48. Le soleil n'hésite plus. Il cogne le parrebrise de la Volvo longeant l'océan.

Episode 6 : Nouvelle piste



Le soleil pointe avec hésitation. 6H32 ou 33, à l'horloge de la Volvo silencieuse. Marcus souffle.
-On roule depuis 20 minutes. Vous êtes calmé maintenant, Morin ?
-Ca va mieux ouais, laisse tomber le jeune officier.
-Bon, on va où ?
-J'ai réfléchit Andrade. Le seul nom qui me vienne à l'esprit, c'est Raoul Marquez.
-Vous dites ?
-Raoul Marquez. Pourquoi ?
Reminiscences d'un taxi, un chauffeur aux yeux d'indien, le pâquet, dans sa poche, qui lui glâce les reins.
-C'est n'importe quoi ! Je connais son frère. Enfin, un chauffeur de taxi m'a dit son nom,
il disait être le frère de Raoul Marquez.
-Quoi ?!
-Oui, le chauffeur du taxi que j'ai emprunté après l'opération chez Stern. Il m'a dit d'aller dans le resto de son frère, le « Mango ». Qui est Raoul Marquez ?
-Un contact péruvien. Un mec qui joue les intermédiaires pour nous. Je ne l'ai jamais rencontré, mais, d'habitude, les choses se passent dans un bar-boite, dans Barranco, ça s'appelle The Point.
-Oui, j'y suis déjà allé, mais sans savoir. Le discrict de Barranco est au sud. On doit faire demi-tour. Comment savaient-ils ?
-Ecoutez, il y a beaucoup de choses que je ne m'explique pas ce soir, Marcus. Mais si Marquez a envoyé un homme vous prévenir...
-...mais oui ! Il m'a prévenu. Il m'a demandé si j'étais français... or mon accent est irréprochable. J'ai pas été vigilant sur ce coup.

Les réverbères ambraient maladroitement l'asphalte, et les rues défilaient. Les yeux de l'officier viraient de gauche à droite, comme à la lecture d'un livre de poche. Marcus remarqua les tempes grisonnantes de son chauffeur. Pas si jeune. Combien d'hommes roulent-ils vers une intuition dans ce vaste monde ? Combien la mort est proche.
*
-Bon, attendez...
Morin emprunta une rue perpendiculaire et fit demi tour sur l'avenue Jupiter.
-... on a une piste. Marquez était au courant. Il vous a donné une adresse : le Mango. Tout ça comme pour dire : « si vous avez des problèmes, venez là ».
-Il a peut-être pensé : « si vous voulez vous faire rectifier la face, venez là ».
-Mais non, je suis à peu près certain que le PDA contenait une puce GSP. Pas besoin de vous tendre un piège aussi minable. Il devait savoir que vous n'iriez pas, par principe.
-Rien ne le prouve.
-Alors on fait quoi ? claque Morin.
-Personnellement, je me cogne de dénouer cette affaire. Je veux juste éviter de me faire trouer la peau. Vous aussi, non ? Alors on prend le chemin de l'ambassade et on se planque. D'autres feront le job. Après je me fais exfiltrer.
-Vous avez raison, Andrade.
-Je pense bien ouais. J'ai faim. J'aurais dû vider le frigo du colonel.

Episode 5 : Infierno sans escale


Marcus passa le rond point Tomas Valle, remonta, laissa la Calle B sur sa droite, distingua l'entrée de la Calle A. Sur la gauche, l'aéroport international étend ses pistes. Le vombrissement des décollages fait trembler son parrebrise craquelé. La Honda vire à 90° à droite, monte sur le trottoir, éteint ses phares et coupe le moteur. Marcus en sorti, enfila l'Eastpack sur son dos et extirpa le sac de voyage, avant de se précipiter vers l'aéroport. On distignuait très nettement les réverbères à 4 lampes. Marcus compta : 8 vers la droite. « Il devrait être sous celui-là. » Il trotta entre les minibus jusqu'à l'objectif, supportant le claquement des tongs. Sous la lumière du néon, il reconnu le mec en chemise blanche et veste noire, jetée sur son épaule. Il devait s'appeler Yves ou Yvon. Marcus prit une inspiration et marcha naturellement jusqu'à l'homme, le dépassa, puis tournant la tête, lui demanda, en espagnol, une cigarette. Le type le mate sans sourire et lui tend un paquet de Marlboro Menthol. Marcus en tire une, rend le paquet et ils partent l'un derrière l'autre, direction : le hall de verre de l'aéroport. La clope alumée au Zippo, Marcus savoure et récupère le document plié en 4 que lui tend Yvon. Trois taffes mentholées plus loin, il jette la Marlboro et pénètre dans l'aéroport plus ou moins désert. L'horloge indique 5H07.
Dans le grand hall, la lumière est froide mais les messages d'annonce chaleureux : « Bienvenida, usted está en el aeropuerto internacional de Lima. Bienvenidos a Perú. Los pasajeros para el vuelo numéro 1487 con destinación a Londres son rogados que se hecho Puerta 7. Welcome, the Lima international airport... »
-Y'en a d'autres dans mon cas ? demande Marcus.
« ...passengers for the flight number 1487 to London are asked to... »
-Pas pour l'instant.
-Vous avez envoyé les faire-part ?
-Je ne sais pas.
« Bienvenue au Pérou. Les passagers pour le vol... »
-Je pars quand ?
-Dans 20 minutes. Un O.L.E te fera un débrief' en vol. Où sont tes jouets ?
-Dans mon jean, ma veste et un coupe papier dans le sac.
« Para todos sus viajes, Mastercard le acompaña... »
-Passe aux chiottes et vide ça dans le réservoir d'eau.
Sur le tarmac, Marcus rejoignit l'Officier de Liaison Etrangère Morin, mal à l'aise en costume civil. Sans poignée de main, il lui emboita le pas.
-Vous serez à Paris dans 16 heures.
Le Falcon 50 chauffait sur la piste d'envol, ses lumières oscillant dans les invisibles volutes des gaz. Il embarqua le premier. Morin ferma le sas hermétique. Au fond de l'appareil vide, le pilote et le copilote, micro-casque aux oreilles, jetèrent un coup d'oeil à leurs passagers et revinrent à leur check list. Marcus prit place sur un fauteuil en cuir, ses sacs aux pieds. Morin s'assit face à lui, écartant la tablette qui les séparait.
*
-Commençons le débrief'. Nous sommes en code noir. Qu'est-il arrivé ?
Sa voix était râblée, à la fois légère et puissante, à l’instar de son regard bleu, toujours mobile.
-J'ai vu l'équatorien à l'heure, je suis rentré dormir au studio de Arica. En plein sommeil, deux à trois types, en combi de commando, armés de SMG P90 m'ont arrosés. J'ai shooté, je dois avoir touché une cible. Je suis parvenu à filer par l'égout pour rejoindre l'hôtel et monter chez le colonel Michel. Toutes précautions d'usage ont été prises...
-Bon, bon. Et Michel ?
-DCD Monsieur.
Morin s'enfonça dans son fauteuil dans le crissement du cuir. Silence soupirant.
-Vous êtes collecteur, Andrade ?
-Oui, Monsieur.
« Mais qu'est-ce qu'on attend pour décoler nom de Dieu ! »
-Vous connaissiez le contenu du produit collecté hier ?
-Je ne connais jamais le contenu du produit, seulement sa nature et sa forme.
-Bien. Je fais sauter le scellés. De toute façon l'opération Siapango est annulée...
En tournant la tête, Marcus croisa le regard clair de l'OLE.
-...voilà Marcus. Le produit collecté chez Stern était un Palm Pilot bourré de données. L'individu à qui vous l'avez remis, appelons-le Paul, à procédé à une vérif depuis son véhicule. Le Palm était vide. Nous avons reçu un SMS avec le code 53 : il soupçonnait un leurre. Depuis, aucune nouvelle. Nous pensons que le Palm était effectivement un hameçon, peut-être muni d'une puce GPS. On vous a suivi. Ils ont repéré Paul, qui est considéré comme disparu. Puis, vous ont certainement pisté jusqu'au studio. Nous n'avons aucun moyen de joindre l'équatorien. Mais Paul a dû parler, puisqu'ils ont retrouvé le colonel Michel.
-Ils ne sont pas venu pour moi, à l'hôtel. Michel a été désingué au sniper : ils l'attendaient. Mais pas moi. Je me suis tiré avant qu'ils arrivent, mais je sais qu'ils ont visité sa chambre, sans prendre de précautions particulières.
-C'est plus compliqué qu'il n'y paraît.
Morin tourna la tête en direction du cockpit : « il décolle cet avion ou quoi ? ». Pas de réponse. Les deux hommes se lèvent, Morin rejoint en trois foulées les pilotes : inconscients. Le thermos de café et deux tasses gisent sur le sol. Morin saisit le pilote et le balance dans le corridor, aux pieds de Marcus.
-Couchez-vous ! Bordel, on les a empoissonés.
Le nez contre la moquette, à deux centimètres du regard révulsé du pilote, Marcus reprend son souffle. Sa première pensée : ce mec doit faire du 44 fillette.
*
-Où sont les armes ?
-On ne peut pas décoller, Marcus.
-Où sont les armes ?
-Dans les placards de bouffe, à l'arrière !
Marcus a déchaussé le pilote de ses mocassins et retiré les chaussettes.
-On doit sortir de ce zinc ! Je vais libérer la piste.
Il court, courbé, jusqu'au poste des hotesses et ouvre les trois placards blancs. Les moteurs montent en puissance : le Falcon roule. Cinq pistolets, chargeurs et holsters, ainsi que deux couteaux et un GSM sont visibles dans leurs boites. Marcus balance les tongs, enfile les chaussettes, et charge trois Glock 17 tout en fourrant ses pieds dans les mocassins. « Enfin, des chouzes ! ». Dans le cockpit, Morin débite froidement : « Aquí Falcon 50 n°15A78, sigue la pista B, tenemos un problema técnico de recalentamiento sobre un reactor. No podemos despegar. Necesitamos... »
Marcus revient à ses sacs, vide l'Eastpack du Fist-aid kit, récupère un jeu de seringues dans leurs étuis, retire la boite métallisée du sac de voyage.
-J'ai un cube, une espèce de boite, c'est quoi ?
« Aquí la torre de control, abrimos el hangar 16 para usted. Un equipo técnico llega... »
-J'en sais rien, Andrade, prenez-là !
L'avion tourne à présent vers la droite.
Marcus la dépose au fond de l'Eastpack, place un Glock dans la poche avant, cale le holster du second à sa ceinture. Le sac à l'épaule, il rejoint Morin et le cadavre du co-pilote. Le Falcon pénètre un hangar vide.
-Nous allons sortir par la soute...
Le co-pilote à fait sur lui en agonisant, une odeur d'excrèment pollue l'atmosphère.
-Prenez ça, lance Marcus en lui tendant le Glock.
-Merci... après ça, je ne suis plus sûr de rien. Putain, dommage que je ne sache pas piloter cette saloperie.
-Vous êtes de l'armée de l'air ?
-Non, j'ai piloté des Cessnas à l'armée. Je viens de la gendarmerie. Et vous du 44e Régiment d'Infanterie ?
-Comme tout le monde.
*
Gaz coupés. Morin pousse le sas de la soute, se lève, Marcus ouvre la marche vers la cale, dévérouille la petite porte et s'engouffre dans le petit local dont le sas extérieur coulisse lentement. Ils sont sur le hangar. Les talons des mocassins sonnent sur le béton crasseux. L'équipe technique va débarquer. Ils se mettent à couvert, derrière de larges étagères.
-On attend personne, souffle-t-il, on se sort de ce merdier tous seuls.
Morin tend le bras : SALIDA. Ils serpentent vers la porte et s'engouffrent dans un couloir. La lumière des néons brûle la rétine. Sur la pointe des pieds, Marcus suit le costume antracite de Morin. Ils débouchent sur un second hangar. La masse lourde et étincellante d'un Phenom 100 se dégage dans l'obscurité. Dans un angle, une voiturette de la compagnie Belvedair poireaute avec son attelage de remorques à bagages.
-On prend le Cab, murumure Morin.
Les deux hommes approchent le véhicule, Marcus retire le système d'attache des remorques. Morin démarre le tacot lorsque Marcus y grimpe. L'équipée retrouve le tarmac et l'atmosphère de kérozène. Longeant l'enfilade des hangars, Morin pousse le cab à fond.
-Où vous allez, officier !
-Dans l'autre sens, on croise les techniciens, qui vous dit qu'ils sont fiables ?
-Mais par là, c'est nulle part !
A 30 mètres à gauche, un Boeing décolle dans un tonnerre assourdissant. Morin hurle : « là bas c'est l'aéroport de tourisme, on peut sortir ! ».
En effet, 200 mètres en contrebas, un aérodrôme les acceuille. Ils quittent le cab et entrent dans le petit hall.
-Vous avez toujours le Passeport diplomatique que vous a remis Yvon à l'ambarcation ? demande Morin.
-Oui.
Ils passent la douane sans encombres : pas de portiques de sécurité ici. Après 8 minutes de marche : l'avenue Elmer Faucett. Retour à la case départ.
*
-Vous avez une bagnole ? s'enquit Marcus.
-Oui, mais je suis sur le parking de l'aéroport.
-J'ai une Honda volée et fracassée, dans la Calle A.
Les voitures filent sans vergogne dans les deux sens. Impossible de traverser.
-Vous parlez d'une merde. Et votre caisse vous pouvez vous la garder.
Les deux hommes remontent l'avenue en direction d'une circulation plus clémente. Dans une petite rue perpendiculaire, cinq voitures sont garées.
-J'ai le passe-partout du colonel. Vous voulez quelle marque ?
-Celle sans alarme, si possible, là, une vieille Volvo.
-Putain vous aimez les bolides !
-Grouillez Marcus.
Le passe en main, il force la portière et passe sur le siège du mort. Morin s'installe au volant.
-Filez-moi le passe.
Morin engage la clé, ferme la portière et démarre.
C'est une automatique. Demi-tour avant de rejoindre l'avenue. Une fois les 110 km/h atteints, Marcus interroge :
-Direction ?
-Ecoutez, là, je souffle un peu. Je suis pas habitué à ça moi.
Morin a les deux mains crispées sur le volant.
-Moi non plus, officier, moi non plus.

Episode 4 : Pas de répit


Le Colonel traverse la chaussée au pas de gymanistique et tourne en direction des cabines téléphoniques disposées au carrefour.
Dans la chambre, Marcus se frictionne le corps sous une douche tiède. Il est soulagé : en fouillant la valise, il a déniché un vieux cigare Cohiba dans son étui. Au contact de l'eau savonneuse, ses pieds déversent dans les canalisations une boue verdâtre. Sa cuisse ne saigne plus. Pas besoin de points. Il attrape une serviette estampillée El Pardo, la noue en pagne et se dirige ruisselant, vers la fenêtre, le Corona au bec, une boite d'alumette en main. Sur le chemin, Marcus détache un pansement qu'il colle contre sa cuisse. Il a éteint les lumières par sécurité, titré la vitre d'une vingtaine de centimètres et se tanque au bastingage. La nuit est chaude. Du coin de l'oeil, il aperçoit le jean et le polo bleus, déposés sur le couvre-lit. Au loin, le crâne du colonel, luisant sous les réverbères, traverse en direction des téléphones.
*
Le Colonel décroche le combiné, extrait le système anti-écoutes de sa poche et le déclenche. Une fois la yes-card téléphonique insérée, il compose les 20 chiffres du numéro. Une tonalié, deux tonalités...
-humm... allo ? répond la voix rauque.
-C'est moi. Le collecteur est dans ma chambre d'hôtel.
-Bon.
-Vous passez ?
-Non. Pas ici.
-Désolé mais je suis pas un garde chiourme...
-Il est 4 heures 25. hum. Qu'il soit à l'aéroport à 5 heutres 30.
-Il faut une mise en scène, je lui ai parlé d'exfiltra...
La cervelle du colonel s'étale sur le mur en une giclée rosâtre. Il s'effrondre, la face arrachée, les membres secoués de spasmes.
*
Au bout de la rue, le Colonel est parti en arrière, avant de s'étaler sur l'asphalte. Il a chuté dans l'ombre des réverbères. Marcus en laisse échapper son cigare. Le coup est parti depuis une position élevée. A terre ! Il s'aplatit sur la moquette, ses yeux s'habituent à l'obscurité. Il saisit le jean, enfile le polo, balance sa main dans la valise et en sort la trousse de secours. « Putain mais qu'est-ce qu'ils nous veulent ? ».
Dans la pénombre, il distingue un sac à dos Eastpack sous le bureau. Rempant quelques mètres, il saisit le Glock, le recharge. « Où est l'autre flingue ? ». Il ouvre le sac à dos, y fourre le kit First-Aid. « Moi d'abord, ensuite, le colonel, c'est la nuit des longs coûteaux ».
Maintenant vouté, il ouvre la panderie, décroche une veste treillis, l'enfile avec les tongs, endosse l'Eastpack et entrevoit, dans un reflet, la crosse du Sig Sauer et son holster. « Ils m'auraient suivi ? Comment ? ». Marcus saisit l'arme, check le chargeur. Ok. Il sera bien dans la poche intérieure du treillis. Bordeeeel ! Y a ses empreintes partout dans la barraque et la tâche de sang sur le froc de cuisto. Il pense à foutre le feu à la chambre, se ravise, tire un drap du lit et en passe un coup rapide sur la chaise, le bureau, la télévision. Trois pas : il est dans la salle de bain. Il n'a pas pissé, pas d'ADN. Sac au dos, il récupère le pantalon blanc maculé d'hémoglobine et ouvre la porte du coude. Le couloir est désert. A deux portes sur la gauche : la cage d'escalier. L'ascenceur tinte. Un, deux, trois pas. Il est derrière la porte : les escaliers montant-descendant sont couverts de moquette. « Super ! Tongs de merde ! Pourquoi j'ai mis ça ? »
Des pas sourds dans le couloir. On s'arrête à quelques mètres. Quelqu'un entre dans une chambre, sans murmure. Silencieux, Marcus écarte la porte de deux doigts, pour voir celle de la 6025 se refermer. « Nom de dieu. Ils fouillent la chambre du Colonel sans précaution. »
*
Il a déjà dévalé un étage, les tongs dans la main droite, le froc dans la gauche. « Ils ne me suivent pas. » 2ème étage. Un cliquetis dans la poche avant-droite de la veste. « On se fait éliminer un après l'autre. Ils nous connaissent tous. » Au palier du 1er étage, l'adrénaline vient lui piquer le visage. « La bouteille de Pisco, chierie de saloperie de merde. Le goulot plein de salive, la mignonette bourrée d'empreintes. Y'en a marre, marre, marre ! » Le cliquetis persiste. Il trempe la main dans la poche du veston et en tire un trousseau de clés de bagnole, marque Mahindra. Cool.
*
En ouvrant la porte du Parking, Markus rechausse les tongs, repère une poubelle crasseuse et y balance le pantalon roulé en boule. « De toutes façon pour ce que ça change ». Se méfiant des caméras de sécurité, il a rabattu la capuche treillis sur son visage. Son pouce appuie frénétiquement sur le boitier du trousseau de clé. Bipbip. Un pick-up gris métalisé cligne des warnings. Il se précipite à dix mètres sur sa droite. Le flockflock de ses tongs vibre dans l'écho du silence. A un mètre de la porte du pick-up, Marcus se ravise. « Piégée ? ». Il ne prendra pas le risque de vérifier. Rien que d'ouvrir le coffre lui fait perler la sueur au front. La bagnole sent le cuir neuf. Sur le tapis du coffre git un sac de voyage brun, d'environ 40 cm, bourré à craquer. Il saisit les hanses, ferme la porte avec une étrange délicatesse. Coup d'oeil circulaire : il toise une Honda Civic d'un violet sale. Un modèle des années 90'. Facile à braquer. Il dégaine le Glock et, d'un coup franc, fait voler en éclats la vitre côté passager, dans un vacarme insoutenable. De deux doigts, il relève le loquet et s'engouffre dans la portière. Les deux sacs posés sur le siège du mort parsemé de brise de vitre, il s'affaire, derrière le vollant, à arracher le nieman et démarrer le taquot aux fils.
Un petit coup d'accélérateur, voiiiiilà ! Le moteur tourne. Du coin de l'oeil, il constate l'arrivée massive de cinq à six types en uniforme. La sécurité de l'hôtel a bien maté ses moniteurs télésurveillance. « Mierda ». Il passe la 1ère, braque à droite toute et enfonce l'accélérateur. Les pneus chantent leur mélodie de crisse. « Passe la seconde ! ». A grand peine, la Honda grimpe le couloir circulaire vers l'extérieur. Marcus bloque sa respiration, passe la 3ème, rapproche son visage du volant, histoire d'éviter les tirs, constate l'absence de connard et la présence d'une petite barrière jaune et noire en guise de porte de garage : « simple et pratique... magnifique ! ». La barrière atteint de plein fouet le parrebrise de la Honda, qui se fissure avant de la briser. Une myriade de craquelures a envahi son champ de vision. Marcus doit surélever son torse et tendre le cou pour distiguer la chaussée. L'aéroport est au Nord, et le Nord, c'est à droite.
*
En remontant l'avenu Elmer Faucett, l'aéroport droit devant, Marcus découvre d'une main le contenu du sac beige. Sous les paires de chaussettes et les t-shirt, il constate la présence d'un boitier de plastique métalisé, cubique, d'environ 10 cm de côté. Le système de fermeture est invisible, les bords lisses. « Bon, on verra ». Maintenant, il doit trouver un sauf-conduit. Un truc pour passer la douane, ou se planquer. Il retire le kit First-aid de L'Eastpack et déverse le contenu du sac sur le siège. « Peu de voitures ce soir ». Un zippo, une radio, un GSM – je prends –, un passe-partout – j'adore –, un couteau suisse pas suisse – ça ne me dérange pas –... un porte-carte en cuir noir. Amen ! Une carte professionnelle falcifiée de Télécoms Sans Frontières à la photo du colonel, un bidule sans intérêt et un numéro de téléphone. « Chou blanc. Merde ! ». Il remballe le tout, empoche le couteau, puis le zippo, et décroche le GSM. Ce machin est tellement volumineux qu'il doit au moins être anti-écoute. Le numéro composé, il perçoit une tonalité et active le mode « main libre ».
-Oui ! Michel, vous êtes déjà sur la DZ ?
-Allo, Monsieur – je connais cette voix – le co... Michel a été éteint. Je suis...
-Quoi ? Pute et pute ! Vous êtes M.A. ?
-Oui. Je roule seul vers l'A-J-C.
-Vers quoi ?
-Vers le truc où il y a des av... putain de code de merde ! Vers l'aéroport Jorge Chàvez, Monsieur.
-Fermez-là ! Vous...
-Je veux un sauf conduit ! Aidez-moi.
-Ils viennent pour vous ? Conneeeeeeeeeeerie !
-Non. C'est une op' globale. Monsieur... !
-Oui, oui, vous avez rdv à 5.30 sur la DZ habituelle. Je vous envoie quelqu'un pour ouvrir le passage. Il est 5 moins 5. Vous êtes encore loin ?
-A 2-k, Monsieur, pas suivi.
-Ok, tournez sur la Calle A, à droite avant l'entrée du « pigeonnier », le PIGEONNIER vous vous souvenez ?
-Oui, oui.
-... là vous laissez la caisse et marchez jusqu'à la gare des bus. Y'a des mini-bus touristiques bariolés. Vous y verrez des réverbères à 4 têtes. Sous le plus éloigné de la grande tour, un mec avec une veste à l'épaule vous attendra. Ok ?
-Merci !
-Grouillez.
Monsieur avait raccroché.

Episode 3 : Effractions


Marcus passa le portique, salua le gardien, grimpa le demi-étage et, sur le palier, tira les clefs de sa poche. Le studio sentait encore le savon. En refermant la porte, le sol craque. Un papier sous sa chaussure. Le message griffoné au stylo bille : 12.30 AF. Il saisit la boite d'alumette sur l'étagère, passe à la cuisine, enflamme le papier et le dépose dans l'évier. Rendez-vous demain, 12h30, à l'ambassade de France. Il est déjà 2 heures du matin. En s'allongeant sur le BZ, il repense aux paroles d'Ingrid Bétancourt : « L’opération de l’armée de mon pays, de l’armée colombienne a été absolument parfaite ». Tout ce barnum en vaut-il la peine ? Combien de foutus types sont déjà morts ? J'ai envie d'une cigarette.
*
Marcus frôlait un rêve quand la porte se dégonda. Il se jète derrière le BZ, saisit le Glock, tourne la tête. Ca beugle : « Tus manos ! Tus manos ! » Le contre-jour dessine l'ombre chinoise de rangers et de casques. Les Maglights l'aveuglent. « Tus manos ! Maricón ! ». Deux, trois mecs au max. « Muéstrate ! ». Deux balles partent, il a visé les casques. La riposte déglingue le BZ. Il a déjà jaillit par la fenêtre, les bris de glace scintillent dans le coin de son oeil. Son épaule encaisse le choc de la chute. Le tintement des vitres sur le dallage du patio, deux raffales partent, la brique gicle du mur. Il a la jambe en feu. Ses chaussettes glissent dans l'entrée. « Doit y'en avoir dehors ». Il passe derrière la loge vide du gardien, dévérouille le loquet et dévale les escaliers de la cave. Leurs voix s'estompent, mais il sprinte toujours, l'arme au point. Dans sa course, il inspecte sa cuisse gauche : entaille par éclat de verre, ça pisse le sang. Il retire son T-shirt, ralentit pour éponger la tâche, le noue autour de la plaie et bifurque à droite. Cinq, six mètres. Il détache le paneau de bois, passe derrière, attrape la cordellette et remboite le panneau. Ca court derrière lui. Il n'a plus qu'à dégringoler de l'échelle, dans l'égoût. Bien heureux qu'il pleuve pas. Il doit être sous la rue Castilla. Il n'a plus qu'à courser, tout droit, jusqu'au croisement. Ses chaussettes sont trempées. Au-dessus de lui, la rue vit encore. Le passage des voitures fait trembler les parroies. L'éclat de la Lune ricoche sur les murs glauques. Il n'est plus suivi. Au croisement, il reprend sa respiration, s'assure de ne pas avoir d'autres plaies, et poursuit sa route à gauche, en claudiquant. Des sirènes de police au-dessus de sa tête. Il a passé l'angle Arica-Castilla. « Les échelles doivent être à 100 mètres, la troisième sur la droite. Quel est le connard ? Putain ! J'ai dû en buter un, au moins. Le messager à été suivi. Quelle connerie c'est messages. Ils peuvent pas me prévenir en pleine rue ? Trois ans, trois ans sans problème, cool. Pourtant j'en ai fait des trucs bordel ! Pourquoi aujourd'hui ? Quelle heure est-il ? J'ai envie d'une cigarette. »
*
La rouille sur les barreaux de l'échelle lui rougissent les mains. Il doit encore escalader le muret. C'est bon, le paneau coulisse. Deux rats se glissent à sa suite dans le local de canalisation de l'hôtel El Pardo. Il tatonne dans l'obscurité, suivant la tuyauterie, jusqu'à la porte, déverouille le loquet et pénètre dans les cuisines. Coup d'oeil circulaire. Personne. Où sont les vestiaires bordel ! Dans le coin droit, au-dessus d'une porte battant : Guardarropa. Ses chaussettes laissent des traces boueuses. Il les retire. Une vingtaine de casiers fermés l'accueillent. Il vérifie un par un les cadenas. Deux sont ouverts. Le premier, vide. Dans le second, un uniforme de marmiton traine, tâché de sauce. Il dénoue le t-shirt de sa cuisse. La plaie est profonde, le sang suinte toujours. Marcus pose le Glock, déchire le T-shirt, se refait un garreau et enfile le pantalon. Tout en boutonnant la chemise trop petite, il efface les traces de pas avec le reste du t-shirt en serpillère sous son pied. De l'autre côté de la pièce, un saut et une bouteille de Javel Altor. Super. Il balance le t-shirt dans un évier, et vide la bouteille. Le tissu passe d'un noir délavé au jaune pisse. Il ouvre le robinet, essore le t-shirt, rebouche et repose la bouteille. Le sang sur le tissu n'est plus identifiable. Reste à trouver une poubelle. Là. Il se lave les mains et réajuste le Glock glissé dans le creux de ses reins. Maintenant : trouver le monte charge. Il entre dans un couloir éclairé. Voilà l'ascenceur. Il pousse le bouton d'appel. Petite décharge d'adrénaline. La porte s'ouvre : personne. Ok, 6ème étage. Passé dans le couloir, ses pieds apprécient le contact de la moquette rouge. Les appliques diffusent une sobre lumière ambrée. 6022, 6023, 6024. 6025 ! Il cogne du dos de la main contre le bois de la porte et dégaine le Glock. Il y a une odeur de pin dans l'atmosphère. Nouvelle tentative, plus musclée. On bouge à l'intérieur. La porte demande « Qui est là ? »
-M.A.
-Vous dites ?
C'est la bonne voix. Il rengaine.
-Marcus.
La porte s'ouvre d'un centimètre. Dans la pénombre, un oeil brille.
-Merde. Entrez.
Marcus se glisse dans l'embrasure et referme le loquet. Face à lui, le Colonel Michel, torse nu et bas de pyjama, l'arme au point le long de sa cuisse, fait la gueule. La chambre est cossue, la salle de bain sur la droite, un chiote à gauche, le lit double fait face aux fenêtres. Le colonel allume une lampe de chevet, gratte son crâne chauve, substitue à son S&M une télécommande. La télévision retransmet du foot, la Copa Perù. Il élève le volume.
-Vous êtes blessé ?
-Non, juste un pèt à la jambe, je nettoierai ça plus tard.
-Vous êtes armé ?
-Oui.
Marcus tend le Glock. Le Colonel se relève, le saisit par la culasse, retire le chargeur, fait sauter la balle du magasin et dépose le tout sur le lit. Durant cette minute, Marcus admire le match. FBC Melgar VS Alianza Lima. Le commentateur s'époumonne : « Prado toma la pelota y drible... »
-Que s'est-il passé ? Asseyez-vous.
Marcus prend une chaise, pose ses fesses et demande une cigarette. Hochement négatif de la part du Colonel.
« Guiterrez se pelea para Lima ! »
-Trois mecs en tenue de commando, avec des SMG P90. J'étais dans le noir. J'ai shooté et me suis précipité dans l'égout, jusqu'ici.
-Putain mais qui c'est !
« Esquina, Esquina ! »
-L'équatorien est peut-être responsable, mais je ne saurais pas dire pourquoi.
-Quoiqu'il en soit, Andrade, vous êtes grillé dans la zone. Vous avez abbatu des gars du commando ?
« La vía es libre para Aparcana ».
-Un certain, le reste, c'est du hasard.
« Goaaaaalll ! Alianza Lima marqua ! Dos a uno... »
-Putain de foot de merde, on s'entend plus chier ici ! Andrade, je vous exfiltre dans deux heures. Vous serez à Paris avant mardi.
-J'ai rendez-vous à midi...
-Je sais, on s'en fout, c'est un debrief' à la con. (le colonel s'est levé). Je sors téléphoner. Vous pouvez prendre une douche. J'ai des fringues propres dans la valise : chopez un polo et un froc. Par contre, vous vous contenterez de tongs au pied. Pour votre cuisse, j'ai vu un nécessaire de couture dans la salle de bain, tiroir du bas. Désinfectez à l'eau de cologne, mais, ne vous enfilez pas tout ! J'ai aussi des seringues de vaccin dans la poche intérieure du sac. Vous pouvez vous shooter, j'en ai un stock.
Le colonel change de pantalon, enfile sa chemise et saisit sa veste. Il sort sans arme.
-Merci monsieur.
-Tâchez de survivre jusqu'à mon retour.
La porte s'est déjà refermée.
« Todavía un minuto y es la victoria para Lima ! »
Et merde, j'ai raté le match...
Un été, à Apurimac, un ex-commandant du P.C.P-Sentier Lumineux, reconverti dans la culture de la Coca, lui avait lancé "toi, tu as une gueule de français", avant de se raviser. Marcus avait alerté la hiérarchie. Aujourd'hui, le frère Marquez ne s'était pas ravisé. Il n'avait alerté personne. Oui, la connerie à un prix.
Il toise le minibar, ouvre la porte et extirpe une mignonette de pisco Alto Del Carmen. Ca vaut bien une petite cigarette.

Episode 2 : L'équatorien

Le Philishave en main, il tond sa barbe, puis termine au raseoir mécanique, sans mousse. Les lentilles de couleur trempent au bord du lavabo. Il rafraichit sa nuque à la tondeuse, laissant les paquets de cheveux choir dans la douche. Enfin, la serviette en main, épongeant la vapeur sur la glace, il retrouve le reflet de Marcus Andrade, ses yeux verts et sa peau de bébé. Appliquant l'aftershave, il sourit à son propre sourire, puis se retourne pour uriner. Fixant son ombre sur la cuvette de porcelaine, il laisse la culpabilité fuir de son urètre. Un frisson le soulage.
L'appart est clean. Seul le holster traine sur le lit. Il clos les stores, planque le Glock nettoyé et enfile un jean et une chemise bleue. Peut-être s'avourera-t-il un troisième été péruvien. Il tire 50 dollars de son portefeuille italien, les glisse dans le passeport diplomatique et empoche le tout contre sa cuisse. La nuit liménienne ne nécessite pas de veste. A 19h28, il quitte le studio.
*
Les premières collectes, les premiers défigurés à l'acide ne furent pas si aisés à reléguer en bord de cuvette. Comme une gosse qui chie dans la mer et voit remonter son étron, Marcus avait connu le syndrôme de l'espion, la parano, le malêtre. Avant de s'aperçevoir que son meilleur allié était l'incompétence des autorités et officines. Ou plutôt de leurs agents. Et puis, on s'y fait : devenir un autre, nettoyer, ne pas céder aux tentations qui aguichent le long du trottoir. Se dire que, sans famille, sans amis, il est simple de disparaître, de repartir. Etre assez seul, vide, froid, pour qu'une fois le flingue sur la tempe, il est davantage envie de sourire que pleurer.
*
La rue Arica grouille de monde. Locaux, touristes, vendeurs ambulants. Ca sent le Lomo Saltado et le kérozène. Grouillant d'une atmosphère bruyante, la fourmilière de la calle Arica ondulait sous les sunlights des réverbères. Attirés par le mirage des vitrines, les couples poursuivaient le collier de lumières. Il a rendez-vous au Puro Corazon, histoire de faire le bilan devant une assiette d'arros chaufa et une bonne bière.
L'équatorien, en chemise hawaïenne, est déjà attablé, le nez dans un verre de Cusqueña bien fraîche. Marcus glisse un clin d'oeil au serveur, Eduardo, et tire le fauteuil à lui. L'équatorien fend son visage bronzé d'un sourire ivoire.
-Quelles belles dents, Señor !
-Bonsoir, bonsoir, le Frenchy. Vous boirez bien quelque chose ?
Les baffles du restaurant crachaient une bachata colombienne. Marcus jeta son regard dans l'humeur vitrée de son hôte.
-Je viens de commander, merci.
-Vous êtes un habitué des lieux ?
Du coin de l'oeil, Marcus appercevait le barman jonglant avec les cocktails et les serveuses en jupes de jean. A chaque visage, il pouvait accoler un prénom.
-Cela fait 3 ans que je traine dans ce quartier, j'y ai mes petites habitudes.
-C'est pas très professionnel, on pourrait vous... remarquer.
-Je préfère avoir des adresses de confiance. On est jamais anonyme bien longtemps.
Une salsa cubaine se substitua à la bachata. Deux quadras, maquillées comme un passeport mexicain, frôlèrent leur table. Le regard de l'équatorien se dispersa.
-Peut-être... moi je n'y connais rien. Je ne suis qu'un... vendedor de gallinas.
-Un marchand de poules. On dit « marchand de tapis » en français. Je suppose que c'est le juste sens.
-En quelques sortes...
Il rajusta la chemise hawaïenne, dévoilant le dessin d'un crocodile couché, et posa les mains sur le bord de table.
-...Vous m'excuserez, mais je dois vous laisser. Ma seule présence confirme le deal.
-Certainement.
L'équatorien gobe sa bière, se lève, lâche un billet de 10 soles avec un « adios » et tourne les talons. Lui, les yeux rivés sur le billet, scrutant le visage du pilote Abelardo Gonzales en filligranne vert et bleu, attendit son plat de riz, suivant du regard la démarche mécanique de la chemise au crocodile. Ca sent la fumée de cigarette, ça sent le souffre.

Episode 1 : Mr & Ms Stern


L'air est chaud. Sa barbe le démange. Une raideur dans la nuque. 3 minutes et le taxi stopera dans Ruan de Arona. Il marchera jusqu'à l'avenue Navarrete. L'immeuble jaune. Quatrième étage, à droite, cinquième porte. M & Ms Stern. Nul besoin de sonner, seulement tourner la poignée. Une raideur dans la nuque.
Sur le palier, il reprend son souffle, enfile les gants de plastique, saisit le Glock, check le silencieux. Le plancher craque un peu. M & MM Stern dactylographié. Il saisit la poignée en aluminium. En face, une ombre chinoise se meut. Deux détonnations sourdes. L'autre est là, dos à la fenêtre, la bouche ouverte, le sang s'évade par petites giblées de sa trachée. Sous le téton droit, une goute s'élargit. La chemise bleue se macule de pourpre. Il regarde l'autre faire sur lui et s'éffondrer, comme désarticulé. La porte close, il dévisse le silencieux, se déplace vers la cuisine, rengaine le glock, fouille les placards. Dans le freezer, sous les empanadas surgelés, une pochette plastique. Le robinet goutte. Il empoche le paquet, froid contre sa hanche. Au salon, l'autre a déjà les lèvres bleues. Avec délicatesse, il extirpe un flacon de la poche à briquet, débouche et verse l'acide sur le visage blond aux yeux révulsés. Il n'attend pas de voir fondre le derme, et clos la porte derrière lui. En silence, il regagne l'escalier, dévale deux à deux les marches, retire les gants qu'il roule en boule et trouve la rue.
*
A l'angle de Navarette, il hèle un Télétaxi.
-Parque Union Panamericana. Gracias.
Le petit taxi jaune s'engouffre dans Navarrete, puis tourne vers Miraflores. La rue grouille de véhicules. Un combi ralentit la circulation. Tournant à droite sur l'avenue, ils faillirent percuter un van entrain de reculer. Radio Felicidad crache un tube de Giovanni Ciccia. Le silencieux est encore chaud contre sa cuisse. Il sent les yeux d'indiens du chauffeur dans le rétroviseur. Il faut détendre l'atmosphère. Des gamins courrent entre les voitures, histoire de traverser.
-Que restaurante me recomienda en la zona ?
-En Miraflores ?
-Si.
Dans la chaleur moite de Lima, la glace qui couvrait la pochette a fondue. Sa veste suinte. Pas moyen de la retirer avec le holster.
-Mi hermano tiene un buen restaurante. Se yama Raphael Marquez.
-Ah si... como se yama ?
-Raphael Marquez. El restaurante se llama Mango.
-Muy bien, no lo olvidaré. ¿ Puedo decir que vengo de su parte?
-Sí, me llamo Raoul, Raoul Marquez. Es aquí. 8 dollars.
Il sort le billet de 10$ de sa chemise. Le type sourit, il lui manque une canine.
-Vous êtres Français ? il demande.
-Ca dépend.
Il se libère du véhicule, la jambe droite de son pantalon trempée. Un malaise le démange, alors qu'il fixe le taxi qui s'éloigne. Voici 30 ans qu'il parle espagnol, et 3 ans qu'il parcourt Lima. Jamais son accent n'avait trahi sa nationalité. Raphael Marquez... il mènera son enquête.
*
L'église cubique du Parque Union Panamericana se couche avec le soleil. Il passe l'arche de briques vertes, se faufile entre deux voitures et pousse la porte-battant. Silence et fraîcheur. Au bout de l'enfilade de bancs, deux viejas semblent se recueillir. Troisième rangée, un type en veste blanche. Il se faufile, un rang plus bas et s'assoit au centre.
-El verano en perú, el invierno en Francia.
Le code est sussuré, comme une prière.
-L'hiver en France, l'été au Pérou.
Il n'a pas besoin de se retourner et se contente de palper la poche droite de sa veste.
-Tout est pour le mieux ?
-Tout.
Il a parlé un peu fort, son écho raisonne pendant qu'il retire le paquet humide de sa poche et le dépose sur le banc, à sa droite, avant de filer par la gauche, croiser la veste blanche sans un regard et tourner vers la sortie.
*
Le soleil tombe sur la capitale péruvienne, l'enveloppant d'un voile rosé. Il n'ira pas au Mango de Raphael Marquez. Sa Ford est garée sur Los Diamantes. Direction : le studio.